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Levée d'encre
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31 mai 2012

Divin Capital - Claude Margat aux Editions Libertaires

9782919568123FS

Il y a du mauvais démiurge chez Claude Margat. Je le soupçonne d'avoir un côté obscur qui ne s'exprime que rarement et qui rend d'autant plus précieux le texte publié aux Editions Libertaires. Qu'on imagine bien le personnage, le voici levé avant l'aurore arpentant le marais autour de Rochefort, cherchant, dit-il, à saisir l'esprit des lieux, considérant "l'utilité de ne servir à rien", grand connaisseur du Tao, peintre de l'espace et des paysages au repos, il dit : "On manque de contemplatifs, dans notre société il y a trop d'actifs, de gens qui font des choses.", il écrit Daoren : un rêve habitable et soudain en l'espace de 80 pages, d'une prose ciselée, taillée au millimètre, le petit volume de Divin Capital, nous prend à contrepieds, nous impose un véritable cauchemar, un monde absolument inhabitable et qui pourtant seul demeure.

Un linteau rouge pour surmonter le seuil de la colonie presque pénitentiaire. Un bâtiment de six étages avec un patio intérieur, un couloir en spirale desservant chaque niveau, et à quarante mètres de hauteur une verrière. Les fenêtres qui donnent sur la rue sont murées et des colosses à matraques gardent l'entrée, mais on se précipite vers la colonie, dehors, c'est pire.

Ce que l'obscur Claude Margat décrit n'est ni plus ni moins que l'enfer concentrationnaire. Je crois que la clé du titre pourrait bien se trouver dans un livre d'entretiens entre Claude et Bernard Noël ( Questions de mots aux Editions Libertaires ) quand se dernier dit : "Dieu est mort et le capitalisme a dévoilé son vrai visage en se prêtant à l'extermination en masse..." Quand on rentre dans l'immeuble surpeuplé de mille autres locataires, il faut trouver une place ou bien dormir debout ou bien couché dans le fond d'une armoire. Il faut veiller à n'être pas détroussé de ses petits trésors bien misérables, des quelques miettes de pains qu'on aura glanées pour survivre. On porte des casquettes de couleurs comme d'autres portaient des triangles ou des étoiles. Univers kafkaïen et chacun survit ou meurt selon sa chance ou sa ruse. Tout est rationalisé, taylorisé, même les relations sexuelles encouragées, quantifiées. Les enfants qui ne rapportent rien sont pour la plupart expédiés dans la rue pour y mourir, ceux qui survivent dans la pension inventent des jeux cruels pour passer le temps. Quant aux punitions, elles sont sévères et souvent mortelles, et s'il n'y a ni cimetière, ni incinérateur, il faut tout de même aux familles traiter les cadavres des défunts, chacun en touchera un petit morceau, un supplément de protéines.

On croirait vivre un mauvais trip, une descente post-apocalyptique. Hé ! Claude, tu retourneras aux marais, ici ça fait trop peur, ça manque de silence. Je sais bien que c'est notre monde que tu décris si bien ou plutôt l'avenir de notre monde pris entre les mailles d'un capitalisme de plus en plus inhumain, et s'enivrant de comptabilité et de performances. Ton livre est beau et nécessaire mais tellement irrespirable. À ceux qui tenteront la traversée, qu'ils s'arment de courage, ils n'en reviendront pas indemne mais seulement lucide.

 

Thierry Guilabert

 

Divin Capital – Claude Margat – Les Editions Libertaires

5 euros.

 


 

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